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Seine-Saint-Denis : Surfer à Sevran, un non-sens écolo et social ?

Publié le 17/02/2023
En 2024, les amateurs et professionnels de la glisse pourraient prendre le RER B avec leur planche de surf sous le bras pour profiter de « la vague Grand Paris » qui doit déferler à Sevran en Seine-Saint-Denis

L’humain peut-il créer et modeler des monstres d’eau à sa guise ? Si les piscines à vagues pour les entraînements et compétitions de surf pullulent à travers le monde – à l’instar du « surf ranch » californien de la star Kelly Slater qui prévoit d’en ouvrir un second dans le désert –, ces technologies de pointe déclenchent aussi de vastes discussions « philosophiques » entre fanas de la discipline. Concept futuriste au service de la performance pour certains, glisse factice et contre nature à la sauce Truman Show pour d’autres, le débat est en passe de devenir insoluble pour une pratique devenue récemment sport olympique.

Et à des milliers de kilomètres de la côte ouest des Etats-Unis ou des spots d’Oahu, « la vague Grand Paris » qui doit déferler à Sevran en Seine-Saint-Denis ne déroge pas à la règle. Alors que d’autres projets piétinent en France – notamment dans le Pays de Retz ou dans les Landes –, ce programme d’envergure en Ile-de-France semble, lui, avancer, en provoquant toutefois de larges remous. Selon les opérateurs immobiliers, des vagues parfaites et calibrées s’y soulèveront à l’horizon 2024. Une vidéo promotionnelle n’hésite d’ailleurs pas à vanter les qualités de ce spot urbain. « Sevran, nouvelle place forte de la glisse », affichent les promoteurs qui espèrent ainsi attirer sur le futur site « 33 millions de clients potentiels » sur ce qui est actuellement 32 hectares de terres agricoles en friche. Et ce, dans un département – l’un des plus pauvres de France – où un enfant sur deux ne sait pas nager à l’entrée du collège et où la piscine municipale de la commune tombe en ruines.

« 720 vagues par heure », terrasses et DJ set

Prévue « aux portes de Paris », non loin de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle et de la future ligne 16 du métro, « la vague Grand Paris » s’inscrit dans une opération d’aménagement plus vaste appelée « Sevran Terre d’Eaux ». L’espace qui s’étend sur la plaine Montceleux, doit accueillir selon les promoteurs, des logements, des équipements sportifs (escalade, basket, skate) et culturels, des restaurants, des bars, des terrasses, des boutiques, des DJ set et une plage. A la manœuvre : les sociétés Linkcity, filiale de Bouygues Bâtiment, et Crescendo, qui avaient en 2017, remporté l’appel à projets « Inventons la Métropole du Grand Paris » avec cette idée d’« un quartier autour d’une vague de surf artificielle et d’un parc de loisirs à Sevran ». Coût total de l’opération : 250 millions d’euros. En avril 2019, le projet avait même bénéficié d’un coup de pub avec le dépôt d’une candidature pour  accueillir l’épreuve de surf aux Jeux olympiques 2024 finalement raflée par Tahiti et son célèbre spot naturel de Teahupoo. « Nous savions que le projet ne serait pas prêt », souffle-t-on aujourd’hui dans les couloirs de la mairie. Mais la vague francilienne ne s’est pas laissée démonter.

Il y a quelques semaines, elle a même pris de l’ampleur avec le choix de son créateur : l'entreprise canadienne WhiteWater. « La technologie inédite Endless surf de WhiteWater […] crée des vagues grâce à un système pneumatique invisible depuis le bassin dans un environnement comparable aux plus belles plages », assure un communiqué. Selon Linkcity, « elle permet de générer un large panel de vagues personnalisables qui reproduisent la diversité des sensations en milieu naturel ». A l’arrivée, « jusqu’à 720 vagues par heure » avec un temps de glisse « allant jusqu’à 26 secondes », et « une capacité d’accueil de 70 surfeurs ». La vague pourra même atteindre les deux mètres.

« Système hydraulique vertueux » vs « projet énergivore »

Attendue au tournant sur les questions écologiques, la société assure que « les plans d’eaux constituent un système hydraulique vertueux à l’échelle du parc pour la récupération des eaux de pluies et leur réutilisation en circuit fermé, permettant à la vague de surf de fonctionner en quasi-autonomie ». Contactée à de nombreuses reprises par 20 Minutes, Linkcity n’a jamais répondu à nos sollicitations. De son côté, l’ONG  Surfrider Foundation Europe, « opposée à tous les projets de vagues artificielles » veille au grain.

« Ces projets qui artificialisent les sols sont énergivores. A Waco au Texas, la consommation électrique du dispositif qui génère les vagues du surf park est de 450 kW soit l’équivalent de la consommation électrique moyenne de 800 foyers français. Concernant l’eau, un surf park consomme 25 à 35.000 mètres cubes. Cela représente entre 10 et 14 piscines olympiques », détaille Adrien Prenveille de Surfrider. Et d’ajouter : « Dans le contexte du changement climatique, l’approvisionnement en eau va devenir compliqué, ça devient dangereux de mettre en place ce genre de projet. »

Des médailles tricolores dans le viseur

« Nous soutenons le projet de Sevran », assure auprès de 20 MinutesJean-Luc Arassus, président de la Fédération française de surf, qui y voit une solide base arrière d’entraînement. « C’est important d’avoir une vague artificielle le plus rapidement possible. » Pour lui, les compétitions internationales et surtout les Jeux olympiques, où le surf fait son entrée, en dépendent. Les médailles tricolores sont dans la ligne de mire. « C’est un outil essentiel à la performance. Nous voyons bien les résultats des nations équipées de ces vagues artificielles, les Australiens notamment. Et la vague de Sevran, qui peut creuser et être puissante, est suffisante pour les objectifs de la fédération pour l’entraînement et complémentaire avec les sessions en milieu naturel », poursuit-il.

Autre avantage selon la FFS : Sevran est un bon stop entre deux avions. « Le positionnement parisien peut correspondre aux nombreux voyages des surfeurs, qui passent par Roissy, et qui pourraient faire un passage à Sevran pour une séance d’entraînement afin d’être prêts pour des compétitions professionnelles et de haut niveau », estime Jean-Luc Arassus.

Il précise : « le projet doit respecter un certain nombre de critères notamment environnementaux. On sera attentifs au captage de l’eau, à l’énergie et l’implantation du bassin. Et il y a un vrai projet politique porté par la mairie. Cela va permettre à des jeunes de découvrir et de se familiariser avec le milieu des vagues et leur permettre d’envisager d’aller sur le littoral. »

Mais avec un coût de la session de surf aux alentours de 40 euros les trente minutes, certaines voix s’élèvent pour dire que les familles de Sevran ne pourront pas se le permettre. Alors, le projet prend-il en considération le tissu local et la réalité d’un département qui est notamment toujours le moins bien loti en matière de piscines à l’échelle nationale ?

« En attendant, la misérable piscine municipale fait pitié »

Seulement 33 piscines sont actuellement en service en Seine-Saint-Denis, selon la collectivité contactée par 20 Minutes, et en 2018, 54 % des élèves en fin de CM2 avaient échoué lors de l’attestation scolaire du savoir-nager, d’après l’Education nationale. « Il faut que les Sevranais puissent profiter de ce projet et que ça donne envie d’apprendre à nager dans un premier temps. En attendant, la misérable piscine municipale de Sevran fait pitié et il faut qu’elle soit rénovée », déplore auprès de 20 MinutesClémentine Autain, députée LFI de Seine-Saint-Denis, ancienne conseillère municipale de la ville et fervente opposante à « la vague ».

A la mairie, on se dit aujourd’hui très sceptique sur cette vague, portée davantage par l’ancien maire, Stéphane Gatignon. Lui, qui avait entamé en 2012 une grève de la faim pour obtenir de meilleures dotations pour les villes pauvres et en particulier la sienne avait démissionné en 2018 pour protester contre « l’abandon » des banlieues en laissant aussi le projet de la vague dans les tiroirs. « Aujourd’hui, nous sommes à l’état de projet. Rien n’a été décidé, signé ou mis en place et rien ne se fera sans l’accord des habitants qui seront consultés par référendum d’initiative locale », annonce officiellement le cabinet du maire, Stéphane Blanchet (DVG).

« Ce n’est pas une vague qui fait la ville »

« La vague ne se fera pas s’il n’y a pas un certain nombre de garantis. Moi, je ne m’intéresse pas une technologie mais à un projet urbain. Je veux travailler sur un projet de ville qui donne du sens aux habitants. Ce n’est pas une vague qui fait la ville et pour le moment cette vague fait l’impasse sur d’autres sujets dans notre ville, », affirme à 20 MinutesStéphane Blanchet réélu en juin avec une liste rassemblant les Verts, le PS, le PCF et LFI. Pour lui, la vague artificielle est loin d’être au cœur du projet global, au point d’être encombrante et plombée de non-sens ? « La vague n’est pas écologique, elle a un coût énergétique. Actuellement, on discute les compensations », assure-t-il en appelant à « tirer les conclusions de la crise du Covid-19 ».

En contrepartie de la vague, c’est en effet tout un espace davantage tourné vers les habitants qui pourrait voir le jour : logements étudiants et intermédiaires, centre de santé, espace universitaire, crèche, théâtre, piscine municipale flambant neuve, ferme pédagogique et programme éducatif. Mais tout est imbriqué. « L’un va avec l’autre et la vague tient le reste du projet », lâche Clémentine Autain qui dit vouloir rester « vigilante »

« A l’époque de Stéphane Gatignon, j’étais contre le projet de zone touristique avec une vague et j’avais proposé de construire une zone universitaire. Aujourd’hui, il y a eu un changement de braquet avec Stéphane Blanchet. Le projet global s’ancre davantage pour les besoins des habitants. Mais il reste beaucoup de questions techniques : enjeu et coût énergétique, coût environnemental, le trou pour le bassin. On ne peut pas signer la Cop21 et faire des projets qui consomment follement », tranche-t-elle. A la mairie, on répète que rien n’est acté. Et comme promis lors de la campagne des municipales, ce référendum local sur le sujet sera prochainement organisé dans la commune. Tant la municipalité ne veut pas vivre « un nouvel EuropaCity ». Un projet qui avait également fait des vagues en Ile-de-France mais d’un autre acabit.

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